Qui était Albert-Louis Kimmerling ?
Les grandes épopées, ça commence souvent par l’histoire d’un homme. Celui-ci avait tout pour devenir une légende. Il n’a pourtant laissé que peu de traces. L’épopée dont on parle, c’est celle de l’aviation. Et l’homme, Albert-Louis Kimmerling, un jeune aviateur qui, le 10 février 1911, a réalisé le premier vol régional orienté, avec atterrissage sur un lieu précis, défini à l’avance, entre la ville de Bron (Rhône) et le petit village de Montceau (Isère). À cette époque, l’aviation n’est que le joujou de quelques jeunes sportifs fortunés qui ont trouvé là un amusement à la hauteur de leur excentricité. Personne ne songe encore que l’avion peut servir à transporter des passagers ou de la marchandise.
Kimmerling, en prouvant qu’on peut planifier précisément un vol, va contribuer à faire entrer l’aviation dans la modernité. Albert-Louis Kimmerling est né le 22 juin 1882 à Saint-Rambert-L’île Barbe, près de Lyon. Ce Franco-Suisse (premier pilote helvétique) se passionne très tôt pour la mécanique. Après ses études au lycée, il rejoint en octobre 1909 la société Voisin, usine de construction et vente d’aéroplanes. Il apprend à piloter et, en deux mois, il devient plutôt bon, surtout très audacieux. En novembre 1909, sans avoir encore obtenu son brevet de pilote, il s’embarque en Afrique du Sud avec dans ses bagages un tout nouveau prototype Voisin, un biplan fait de toile et de bambou, entraîné par un moteur Gnome de 50 CV. Il est le premier pilote à voler sur le continent africain. “En fait, il passait plus de temps à tomber qu’à voler, précise Yves Lacour, médecin de Bourgoin-Jallieu (Isère) passionné d’histoire, qui a écrit un ouvrage sur Kimmerling.
En six mois sur place, il essuie cinq crashs. Mais son premier vol est un triomphe et Kimmerling devient alors une vedette.” À son retour en France en 1910, il est engagé par un autre constructeur, Roger Sommer. Sommer crée alors l’école d’aviation de Bron et Kimmerling en est le premier directeur. Somer veut inscrire son école dans le palmarès des records de l’époque. Son ami Lionel Cottin, alors tout jeune maire de Montceau (Isère), lui confie qu’entre Lyon et sa petite commune, l’espace sans trop de relief est idéal pour une belle démonstration. Tous deux décident alors de programmer un vol avec un atterrissage préalablement déterminé et un retour à la base. C’est Kimmerling qui est désigné pour cet exploit. Le pilote choisit un biplan de 12 mètres de long, avec moteur rotatif Gnome de 50 CV. Il devra voler sur plus de 45 km jusqu’à Montceau, se poser dans un champ, puis revenir. Le 10 février 1911, Kimmerling part de Bron à 9 h 30 et atterrit à Montceau, sur un terrain balisé par des rangées de bottes de paille enfumées.
L’heure d’arrivée n’est pas très claire, la presse locale de l’époque affirme ”qu’il contourne Bourgoin à 10 h 11”. Car l’exploit est évidemment relayé par les journaux : “Le biplan est à peine arrêté qu’aussitôt c’est une ruée générale de la foule vers lui (...) Il y a même des gens qui flairant une affaire exceptionnelle (...) tournent autour de l’appareil comme s’ils y connaissaient quelque chose”, peut-on lire le lendemain dans Le Progrès. Au retour, Kimmerling est un peu secoué par une météo moins clémente mais parvient à se poser à Bron. “À l’époque, dans ce petit village, personne n’avait jamais vu d’avion voler, explique Claude Bonin, metteur en scène et scénariste qui a écrit une pièce de théâtre sur l’exploit de Kimmerling. Pour les habitants, c’était énorme. Des gens se sont agenouillés au passage de l’avion, les hommes ont enlevé leur chapeau.” Kimmerling retourne ensuite à ses démonstrations de pilote.
Le 9 juin 1912, il décolle avec son ingénieur sur un appareil auquel ils ont ajouté un siège arrière. L’engin ainsi modifié n’est pas fiable et à peine ont-ils décollé que les deux occupants s’écrasent et meurent. Kimmerling a alors 30 ans. Mort avant la Première Guerre mondiale qui a fait des pionniers du ciel de véritables héros, Albert-Louis Kimmerling, pilote pourtant exceptionnellement doué, n’est finalement jamais entré dans la légende.